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Non-violent, l'isolement ?

Non-violent, l’isolement ?

Vous êtes nombreuses et nombreux à m’interroger sur les méfaits de l’isolement pour les enfants en tant qu’alternative à la fessée. Voici un article de Brigitte Guimbal que j’ai publié dans « Elever son enfant autrement » chez La Plage.

Non-violent, l’isolement ?

HEUREUSEMENT, FESSÉES ET AUTRES VIOLENCES PHYSIQUES SONT DE MOINS EN MOINS ACCEPTÉES COMME MOYEN DE DISCIPLINE. MAIS ALORS, PAR QUOI LES REMPLACER  ? LA RÉPONSE LA PLUS RÉPANDUE ACTUELLEMENT, C’EST L’ISOLEMENT. LE POINT SUR CETTE MÉTHODE TRÈS EN VOGUE…

 

L’isolement, ou «  time-out  », ou encore «  retrait  », c’est un peu comme mettre au coin, mais pas tout à fait. En principe, il devrait s’agir de la privation d’un renforcement positif (en général, d’exercer une activité agréable avec les autres), d’un temps d’arrêt pour que l’enfant se calme, et non d’une punition. Sous sa forme la plus légère, l’enfant pourrait rester dans le groupe mais ne participerait plus à l’activité. Il peut aussi être assis sur une chaise à l’écart, ou même placé seul dans une pièce. Dans tous les cas, il est recommandé de ne pas laisser l’enfant trop longtemps isolé (de l’ordre d’une minute par année d’âge), ni trop souvent d’ailleurs, sous peine de nuire à l’efficacité de la méthode.

 

Dans la pratique, la nuance semble très subtile. Ainsi, il y a quelque temps, à Toulouse, un élève de CM1 a passé plusieurs récréations dans un «  carré d’isolement  » de deux mètres de côté tracé à la craie dans la cour, pour avoir frappé un autre élève avec un stylo [1]. La décision en a été prise sans que les parents en soient informés.

Il y a effectivement privation du moment de jeu que représente la récréation. Mais il s’y ajoute l’humiliation d’être ainsi exposé devant tous les élèves. De plus, l’isolement a été répété plusieurs jours d’affilée, donc hors contexte de l’événement déclencheur, ce qui souligne encore son caractère punitif.

Éviter les comportements indésirables

L’isolement est la méthode de discipline préférée de Super Nanny [2], qui ne se prétend certes pas un modèle de non-violence, mais tout de même un modèle d’éducation. Dans l’une des émissions [3], on l’entend dire à une fillette de deux ans qui refuse de manger ce qu’elle a dans son assiette  : «  Si tu ne veux pas goûter, tu vas aller dans ta chambre réfléchir  !  ». Plus tard, la mère, désireuse d’appliquer ses leçons, s’énerve sur ses filles qu’elle trouve moqueuses et va les coucher. Commentaire  : «  Après avoir laissé réfléchir ses filles toutes seules dans leur chambre pendant une heure, les esprits se sont calmés.  »

 

Ainsi est mise en avant l’idée que l’enfant isolé est supposé «  réfléchir à ce qu’il a fait  ». Ce serait un moyen pour l’enfant de prendre du recul par rapport aux conséquences de ses actes, donc pas une punition… mais ça en a quand même bien la couleur et le goût  !

 

Le Conseil de l’Europe a édité un rapport intitulé La parentalité positive dans l’Europe contemporaine [4]. Ce texte commente très largement les dangers des fessées et des méthodes de discipline basées sur les châtiments corporels, et prône activement une éducation non-violente.

Or l’isolement et le retrait de privilèges y sont présentés comme les solutions les plus efficaces pour éviter que les «  comportements indésirables (…) se généralisent  », sans que les mécanismes de cette efficacité soient mis en question.

Ainsi, on peut y lire que l’enfant en isolement va faire «  une démonstration de comportement émotionnel  », mais que si le parent ne réagit pas, «  la fréquence de ces crises diminue  ». «  De cette façon, les sentiments de l’enfant ne nuisent pas à l’estime qu’il a de lui-même, malgré les réactions parfois intenses.  » On y lit aussi  : «  Avec les enfants en âge préscolaire, on a constaté que l’isolement (qui consiste généralement au retrait de l’attention parentale positive) renforce l’obéissance (de 25 % à 80 % environ).  »

Ce que je comprends au travers de ces lignes, c’est que l’enfant en isolement exprime sa détresse par des pleurs et des hurlements intenses, manifestations qui se retrouvent qualifiées de «  crises  »  ; et qu’il est demandé aux parents de ne pas réagir [5], afin que l’enfant désespéré cesse d’essayer d’obtenir de l’aide, et que les «  crises  » disparaissent donc. Ensuite, sur la base de cette souffrance, il va effectivement devenir plus obéissant  !

Une méthode incompréhensible et blessante

Une étude portant sur le time-out appliqué à des enfants de deux à quatre ans dans le cadre de l’école [6] a montré trois points importants  :

– que les enfants éprouvaient lors de l’isolement des sentiments de tristesse, de peur et de solitude, qu’ils se sentaient rejetés des enseignants et abandonnés des autres enfants  ;

– que plus de la moitié ne savaient pas pourquoi ils avaient été mis en time-out  ;

– que les enseignants utilisaient cette méthode dans des situations ne la justifiant pas (envers des enfants qui ne répondaient pas à leurs demandes).

 

Les résultats de cette étude ont conduit divers organismes à mettre en garde les parents contre l’utilisation de cette méthode avec les jeunes enfants, et à préconiser que ces derniers ne soient jamais séparés pour des raisons de discipline des adultes qui en prennent soin [7].

 

En ce qui concerne les enfants plus grands, il semble assez évident que, loin de réfléchir à leurs «  fautes  », ils vont plus probablement tourner dans leur tête leur chagrin, leur rancœur, leurs sentiments d’injustice et leurs peurs. Ils se sentent rejetés et cela détruit leur estime d’eux-mêmes.

Pour eux, l’isolement est humiliant, car il montre qu’ils ne sont pas considérés comme des interlocuteurs valables. J’entends par là que lorsqu’un adulte a un comportement déplacé, on ne va bien sûr pas le mettre sur une chaise d’isolement. Pourquoi pas  ? Parce que nous pensons que nous devons le traiter avec un certain respect. Ce qui n’est donc pas le cas de l’enfant placé en isolement.

Des opposants motivés

Si l’on peut trouver en faveur du time-out un grand nombre de personnes plus ou moins professionnelles, il existe aussi quelques auteurs qui s’y opposent avec énergie. Parmi eux, je citerai Aletha Solter [8]  :

«  La mise à l’écart temporaire est une approche autoritaire, et, en tant que telle, elle ne peut fonctionner qu’avec des enfants entraînés à se soumettre au pouvoir et à l’autorité des adultes. Les enfants entraînés à se conformer à de telles mesures savent que les conséquences de la désobéissance sont pires que celles liées au fait d’adhérer aux injonctions. […]

Bien que la méthode semble assez innocente, elle nécessite un passé d’autoritarisme punitif pour produire des enfants suffisamment dociles pour obéir. […]

Rien n’est plus effrayant pour un enfant que le retrait d’amour.  » [9]

 

L’isolement est incompréhensible pour les jeunes enfants, humiliant pour les plus grands, blessant pour tous. L’obéissance d’un enfant ne peut s’obtenir que par la contrainte, et toute contrainte est une forme de violence. Il est utopique de penser que l’on peut obtenir avec des méthodes non violentes le même genre de résultats qu’avec les châtiments corporels. Si nous voulons arriver à une éducation non-violente, c’est le fondement même de la discipline que nous devons remettre en question.

Brigitte GUIMBAL

 

[1] Toulouse  : un élève de CM1 mis à l’isolement, Le Figaro, 02/12/2011.

 

[2] Éducatrice vedette de l’émission du même nom, diffusée sur NT1. La personne qui tient se rôle actuellement se nomme Sylvie.

 

[3] «  Au secours, nous sommes devenus les esclaves de nos trois filles.  » Personnellement, certaines des interventions de Sylvie m’ont beaucoup choquée.

 

[4] Évolution de la parentalité  : enfants aujourd’hui, parents demain, édité par M. Daly d’après les travaux de S. Janson, C. Lalière, N. Pecnik, M. B. Saether, M. Sandbaek (mai 2006).

 

[5] Le fait de ne pas réagir aux comportements de l’enfant que l’on désapprouve porte un nom  : c’est «  l’ignorance intentionnelle  ». Comme l’isolement, c’est une méthode injustement présentée comme non-violente.

 

[6] Young chldren’s perceptions of time out, C.A. Readdick et P.L. Chapman,Journal of Research in Childhood Education, Volume 15, Number 1 (2000).

 

[7] Par exemple, the Australian Association for Children Mental Health

 

[8] Voir son interview dans ce numéro.

 

[9] Voir l’article complet sur le site d’Aletha Solter  : www.awareparenting.com/timeoutfrench.htm ou sur celui de la Maison de l’enfant  : tinyurl.com/ovc7qpv

 

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