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Parentalité Créative

La table familiale, lieu de convivialité ou de pressions intolérables ?

MANGE TA SOUPE POUR GRANDIR !

« Une cuillère pour maman, une cuillère pour papa… », « Allez, mange trois cuillères et ensuite tu pourras prendre ton dessert. », « Si tu as si faim que cela alors mange ce qui est dans ton assiette. » Avez-vous déjà entendu ou formulé de telles injonctions ?

Alors, la table familiale, lieu de convivialité ou de pressions intolérables ? Examinons ensemble une petite partie de ce vaste sujet.

Commencer à explorer le thème de la nourriture, c’est un peu comme ouvrir la boîte de Pandore. Nos souvenirs d’enfant refont surface et nous prenons conscience de la variété des procédés utilisés par nos parents pour nous faire manger. La plupart des adultes que je rencontre veulent conserver la tradition du repas à table afin de se retrouver en famille dans une ambiance conviviale. Mais ont-ils l’expérience de ces chaleureuses retrouvailles autour de mets appétissants ?

« MANGE ! »

Claire raconte : « Je me rappelle l’heure du repas, cauchemardesque chez nous. J’avais une sorte de chique en permanence dans la bouche, je ne voulais pas avaler. Certains aliments me dégoûtaient et j’étais forcée à les manger sans ménagement, je devais rester à table tant que je n’avais pas fini mon assiette. »

« Avec mes parents c’était simple, tant que je n’avais pas terminé je me retrouvais devant mes restes, au goûter et au dîner. Pour moi, se nourrir est devenu synonyme de tensions, de contraintes », relate Marie. Serge se rappelle le chantage exercé par sa mère : « Elle nous jouait le rôle de la mammaitalienne qui a tant donné pour préparer le repas, elle nous faisait un chantage affectif inutile : “Je me suis donné tellement de mal ! Et vous n’en voulez pas !” J’avais l’impression que c’était elle, ce plat en sauce qui me repoussait, tant elle mettait d’énergie à nous le faire “aimer”, sans succès. »

Sonia, elle, se souvient de l’ambiance pesante : « Chaque soir, mon père regardait les informations à table, il fallait manger en silence pour ne pas le déranger. Et chaque soir nous avions de la soupe… Je déteste la soupe aujourd’hui. »

« Mes parents avaient des principes : gaspiller était un crime pour eux », explique Nicole. « Alors que certains enfants autour du monde mouraient de faim, nous avions le culot de refuser cette nourriture qu’en définitive nous ne méritions pas. Mais il fallait quand même la manger, et je me souviens d’avoir demandé à ma mère : “Qu’est-ce qu’on mange ?” une sorte de boule au ventre, attendant sa réponse avec angoisse. Je savais que je devrais finir mon assiette, et rester assise jusqu’à ce qu’un adulte me donne l’autorisation de sortir de table. »

LES NOURRITURES « CÉLESTES »

« Dans ce qui nous était servi, il y avait certains plats qui ne revenaient pas souvent, soit parce qu’ils étaient trop chers pour notre bourse, soit parce qu’il était moralement inacceptable d’en manger plus souvent. Je me rappelle un gâteau au chocolat que ma mère faisait en principe le dimanche et certains jours de fête. Ce gâteau était une oasis de plaisir dans un désert où la gourmandise était interdite. Et parfois nous en étions privés mon frère et moi, triste punition qui nous plongeait dans un abîme de frustration. Nous avions si peu l’occasion d’avoir du plaisir en mangeant ». Isabelle fait ici référence à la nourriture utilisée comme récompense ou punition, celle qui se présentait lors de grandes occasions, à moins qu’elle n’ait été utilisée pour consoler. C’est une pratique que certains parmi nous ont bien connue, et même parfois depuis la naissance. Magali partage ici son expérience : « C’est quand j’ai eu mon premier enfant que j’ai compris comment ma mère calmait mes pleurs. Je lui avais laissé ma fille à garder une petite heure pour aller chez un médecin. À mon retour, mon bébé avait une tétine de biberon dans la bouche. Il n’y avait pas de biberon au bout, seulement un mouchoir en papier. Quand j’ai voulu l’enlever je me suis aperçue que la tétine était toute collante. C’était du miel ! C’est ainsi que ma mère me “calmait”. Pas étonnant que je me précipite sur le sucre à la moindre contrariété ! »

UNE FAÇON RATIONNELLE DE SE NOURRIR

Comment se dépatouiller de cet épouvantable sac de nœuds ? Eh bien peut-être en essayant de prendre conscience de sa présence, puis en commençant peu à peu à démêler l’enchevêtrement de nos blessures et croyances au sujet de l’alimentation.

Au début de sa vie, un nourrisson sera le plus souvent nourri à la demande. La règle des tétées et même des biberons toutes les trois heures n’a pratiquement plus cours.

Pourtant au moment de l’introduction d’aliments solides, nous revenons souvent à l’horloge pour nous guider dans l’organisation des repas. Et si c’était notre enfant le décisionnaire en matière d’aliments ? Si nous n’introduisions rien d’autre que de l’attention bienveillante sur cette question complexe ?

 

De plus en plus de familles permettent à leur bambin de s’emparer de la nourriture présente sur la table familiale au moment où il se sent prêt, c’est-à-dire à la minute où il attrape un aliment dans votre assiette par exemple. Il était en train de téter (à table sur vos genoux, ce que vous déplorez parfois) et subitement il attrape un petit morceau de pâte par-ci, un petit bout de pomme par-là. Il se diversifie de lui-même, et de ce fait les genoux paraissent bien plus utiles. Ce sont des aides rassurantes pour un tout petit souvent inquiet face à la nouveauté. Ses parents sont toujours présents au moment où il apprivoise la nourriture. Il choisit ce qu’il va mettre dans sa bouche. Il suçotera peut-être, recrachera, se servira de nouveau…

Cela peut être une occasion pour nous de mettre au point une alimentation plus saine et plus proche de nos besoins, et aussi de travailler sur les premières émotions qui surgissent quand notre enfant décide pour lui-même à table.

FAIRE LA PAIX AVEC LE GRIGNOTAGE

Avec la découverte des aliments, le grignotage, mode alimentaire favori du bambin, fait son apparition. Il mange quand il a faim, arrête de manger quand il n’a plus faim. Cela semble simple, mais ce sont des sensations que nous avons perdues en mangeant seulement à heures fixes, et sous contrainte.

Un jeune enfant a souvent du mal à accepter les conventions. Prendre ses repas à table est une démarche de « grands ». Il viendra en général au début du partage, par jeu souvent, puis après avoir picoré tel un petit moineau il quittera la table familiale à tire d’aile.

Peu à peu les quantités ingérées vont augmenter, et son goût va se former. Une attirance pour le côté convivial des repas pourra se développer, surtout si sa participation n’est ni obligatoire ni systématique.

ET SI VOTRE ENFANT DÉJEUNE À LA CANTINE ?

Comment lui permettre de rester à l’écoute de sa sensation de faim ? C’est une question difficile évidemment. On peut expliquer que l’école a un fonctionnement, et que nous en avons un autre, et de ce fait laisser son enfant se nourrir en fonction de sa faim et de son attrait pour certains aliments pendant les week-ends et les vacances.

On peut également demander au personnel de la cantine de ne pas forcer nos enfants à manger.

POUR CONCLURE

Nous sommes loin d’avoir abordé ensemble toutes les questions liées à la nourriture. Mais voici quelques idées complémentaires :

Un enfant investit spontanément le moment présent, il ressent ce dont il a besoin, en particulier lorsque nous lui laissons développer sa propre conscience des choses.

Tous les spécialistes de la nutrition sont unanimes : le forcer est totalement contre-productif et nuisible à son développement. Par ailleurs, interdire rend l’enfant compulsif : quand il pourra manger de l’aliment interdit, il en mangera beaucoup !

Si vous souhaitez qu’il vienne à table, essayez de rendre l’ambiance joyeuse et de ne pas l’inviter de façon systématique. Faites du repas une sorte de jeu : déjeuner sous la table, dans une cabane, dans un grand lit, etc.

Quand nous goûtons en premier un plat sur la table, notre enfant est plus facilement disposé à nous imiter.

Pour finir, une idée que je tiens de la Leche League : « Le parent est le pourvoyeur des aliments, et l’enfant choisit la quantité et le moment. »

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