Comment je suis devenue avocate

J’ai participé à un seul conseil de discipline dans toute ma carrière d’enseignante et je me souviens que la mère de l’adolescent incriminé avait complètement fait évoluer mon regard sur l’intervention des parents dans les établissements scolaires. Elle défendait son fils avec passion et nous expliquait à quel point il était une sorte d’adolescent aux besoins intenses. Jusqu’à ce jour-là, je pensais, comme beaucoup, que les parents manquaient d’objectivité quand il s’agissait de leurs enfants. Ils sont pourtant ceux qui les connaissent le mieux.

Pour ma part, j’ai décidé d’assumer ma position d’avocate de mes enfants scolarisés. Au départ, je me rappelle très bien que j’étais décidée à laisser faire les enseignants : ils connaissaient leur métier et je n’avais pas envie d’être une entrave. J’étais déterminée à ce que ses journées d’école se passent le mieux possible. Malgré cela, j’étais quand même un peu mal à l’aise lorsque je contactais l’école…

 

Dépasser son vécu

Mes contacts avec l’institution ne sont pas allés de soi. Mes sentiments d’enfant scolarisé remontaient à la surface. À chaque fois que j’étais devant l’école ou face à un enseignant, je me sentais comme une enfant un peu perdue et très impressionnée. J’avais peur et, même si je savais contourner habilement cette impression, il n’était jamais facile de rencontrer cette autorité qui m’avait laissé bien des mauvais souvenirs. De plus, pour la génération de mes parents, l’adulte avait toujours raison face à l’enfant. Dans ces conditions-là, je partais perdante car j’attribuais à l’autre une toute-puissance irrationnelle.

C’est à partir du moment où je suis revenue sur mon enfance et mes difficultés à l’école que j’ai pu remettre à leur juste place les individus parfois bien démunis que sont les professeurs. Au fil du temps, j’ai travaillé sur mon envie de fuir les problèmes avec l’institution scolaire. Ne pas laisser tomber et intervenir rapidement est devenu des habitudes que je ne regrette pas d’avoir prises pour mes enfants.

 

Créer un lien avec l’enseignant

Le connaître, échanger avec lui, en dehors de tout désaccord, est fondamental, cela m’a beaucoup aidé à gérer les problèmes par la suite. Il est possible de fixer un rendez-vous avec lui dès qu’il sera disponible pour vous accueillir. Le rencontrer régulièrement, une fois ou deux par trimestre, ne pourra qu’être bénéfique à votre enfant.

Vous pourrez ainsi lui faire part des habitudes particulières de votre famille. J’ai souvent commencé les entretiens par quelques questions générales : « Comment ça se passe pour vous dans la classe ? Ça ne doit pas être facile un si grand nombre d’élèves… » Cela donne le ton, je ne viens pas pour lui déclarer la guerre, ni pour lui dire que je connais bien mieux son boulot que lui. Je viens pour lui donner des informations et essayer de trouver des solutions aux difficultés de mon enfant.

 

Rythmes et habitudes différents

Les petits problèmes de rythmes et d’habitudes de vie peuvent s’avérer très pesants pour nos enfants. Ils sont sources de tensions, de mal-être. L’adaptation requise est nettement supérieure à ce qu’un enfant de cet âge peut vivre, il se trouve alors dans une situation ingérable, qui pourrait s’apparenter à de la violence ordinaire. C’est d’ailleurs en fin de journée que nous en faisons la rude expérience : nos enfants sont si tendus qu’ils traversent de violentes crises de colères. Être présent et écouter, sont parfois nos seules possibilités.

Quand ma fille aînée était scolarisée en maternelle, j’étais alors un médiateur débutant. Je manquais d’expérience, mais j’allais négocier dès que ma sonnette d’alarme interne retentissait. Ce qui me gênait le plus dans l’école, c’était cette obligation de se fondre dans le moule. Tout le monde était prié de faire la même chose au même moment. Quand ma petite n’a plus éprouvé le besoin de dormir l’après-midi, par exemple, elle devait continuer à faire semblant à l’école. Je me suis manifestée pour la première fois à ce moment-là. Les premiers temps, j’ai fréquemment commis l’erreur de généraliser le besoin de ma fille à tous les bambins. Je disais par exemple : « Les enfants ont besoin que l’on respecte l’expression de leurs besoins de sommeil  » et je soulevais immédiatement l’indignation chez mon interlocuteur. J’ai appris, avec le temps, à relativiser, à faire de notre famille un cas très particulier. « Chez nous, Agathe ne fait plus la sieste et elle vit très mal le fait de devoir la faire à l’école. Je comprends que cela pose des problèmes d’organisation, mais j’ai vraiment besoin que vous m’aidiez à trouver une solution à ce problème. »

Pour toutes les difficultés concernant le rythme et les habitudes de vie, cette méthode fonctionnait très bien.

 

Colère et négociation ne font pas bon ménage

Il m’est arrivé un jour de surprendre une ATSEM¹ à forcer mon enfant à manger. J’ai immédiatement récupéré ma fille et je l’ai ramenée à la maison. J’étais très en colère et je ne voulais pas discuter avec l’ATSEM dans cet état. Les conséquences d’un échange musclé seraient retombées sur mon enfant, ce que je ne souhaitais absolument pas. J’ai demandé par la suite un entretien au cours duquel cette dame m’a expliqué qu’il était obligatoire que mon enfant goûte. Nous avons longuement partagé nos points de vue sur la question et j’ai promis de faire un courrier destiné aux personnes s’occupant de ma fille à la cantine, précisant qu’il était, dans son cas, inutile de l’obliger à manger, même de très petites quantités. En effet, après un échange verbal, une trace écrite peut s’avérer nécessaire, c’est un document auquel chacun peut faire référence en cas de litiges.

 

Punitions, sanctions, humiliations

Votre enfant a été puni ou bien privé de récréation ou a subi des humiliations de la part de son enseignant. D’après un rapport de la défenseure des enfants datant de 2003, un grand nombre de réclamations émanant des parents dénoncent des agissements agressifs et humiliants (claques, coups de règle, fessées déculottées, privation de récréation, dénigrement, etc.) de la part de maîtres et/ou maîtresses en école maternelle ou élémentaire. Une circulaire de 1991 interdit aux maîtres « tout comportement, geste ou parole qui traduirait indifférence ou mépris à l’égard de l’élève ou de sa famille ou qui serait susceptible de blesser la sensibilité des enfants »². Cependant, selon la loi, l’enfant momentanément difficile (parce qu’en difficulté) pourra être isolé pendant le temps, très court, nécessaire à lui faire retrouver un comportement compatible avec la vie du groupe.

La situation sera d’autant plus délicate pour vous que votre enfant sera jeune et incapable d’évoquer des faits précis. Pourtant, si vous êtes à l’écoute, vous aurez peut-être remarqué une agitation particulière. Par exemple, vous aurez observé votre enfant rejouer avec ses peluches et poupées des faits difficiles vécus en classe ou bien entendu d’autres enfants se plaindre plus clairement et des parents vous en auront parlé à la sortie de l’école.

 

Aborder le problème

Dans ce genre de situation, j’ai systématiquement demandé un rendez-vous avec l’enseignant. Ces problèmes-là ne se règlent pas entre deux portes. Ils sont suffisamment importants pour qu’on leur consacre du temps et de l’attention. J’ai fait le choix de ne pas emmener mes enfants lors de ces discussions. Ils peuvent se sentir très mal à l’aise, ne pas comprendre ce qui se passe et se sentir responsable du problème.

Entrée en matière : parlez de vos sentiments, du comportement de votre enfant ces temps-ci, par exemple. Restez amical même si cela n’est pas facile. L’enseignant ignore la plupart du temps qu’il existe des façons respectueuses de poser des limites. « Je suis inquiète : ma fille est très agitée en ce moment. Je me demande ce qu’elle vit en classe pour en arriver là, qu’en pensez-vous ? ». Ou bien, dans le cas où votre enfant aurait clairement évoqué le problème : « La semaine dernière, mon fils m’a dit avoir reçu une fessée en classe. J’avoue que cela m’a posé un problème : nous sommes très attachés à la non-violence et nous ne frappons ni ne punissons nos enfants. Nous avons dû travailler beaucoup pour en arriver là. Ce n’est pas toujours facile, je comprends d’autant mieux votre position. Qu’en dites-vous ? »

Écoutez avec attention l’enseignant et réaffirmez clairement vos choix éducatifs. Il est possible que l’adulte face à vous refuse de reconnaître les faits. N’insistez pas et proposez de partager vos ressources en matière de non-violence éducative.

 

La situation ne s’améliore pas

Si, après un contact direct avec la personne concernée, la situation ne s’améliore pas, vous pourrez aller rencontrer le chef d’établissement ou le directeur de l’école, puis l’inspecteur d’académie. Mon expérience m’a démontré que lorsqu’un problème de cette nature ne se règle pas avec l’enseignant, on n’obtiendra que peu de résultats en faisant appel à sa hiérarchie. Par contre, il est essentiel d’en référer aux autorités compétentes. Cela facilitera le travail de négociation des familles concernées les années suivantes.

J’ai, à deux reprises, pris la décision de changer mes enfants d’école³. C’est une option à prendre très au sérieux lorsque l’on sent que notre enfant est très mal et ne peut plus vivre ses journées au contact d’un enseignant difficile.

 

Devenir l’avocat de son enfant est un travail très exigeant. Mais, en tant que parents, nous avons beaucoup de pouvoir au sein de l’institution scolaire : nous pouvons participer au conseil d’école et proposer des formations aux parents par le biais d’associations de parents d’élèves, proposer des commissions de réflexion sur le thème de la discipline aux inspections académiques de notre secteur. Ce sujet est suffisamment important pour que nous nous mobilisions afin de rendre la vie des enfants scolarisés plus agréable.

Catherine Dumonteil Kremer

 

1 – Agent Territorial Spécialisé des Écoles Maternelles : « Les ATSEM sont chargées de l’assistance au personnel enseignant pour la réception, l’animation et l’hygiène des très jeunes enfants, ainsi que de la préparation et la mise en état de propreté des locaux et du matériel servant directement aux enfants » (Code des communes, 28 août 1992).

2 – Cf. la circulaire n° 91 – 124 du 6 juin 1991, qui a été reconnu peu explicite par le ministère de l’Éducation nationale.

3 – La deuxième fois, cela s’est terminé par une déscolarisation, la loi en France offrant en effet cette possibilité à tous les parents. Voir notre hors-série numéro 3 sur l’instruction en famille.

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Avec plus de 30 ans d’expérience dans le soutien à la parentalité non violente, Catherine Dumonteil Kremer a fondé la Journée de la Non-Violence Éducative (JNVE) en France en 2004. Elle a créé le métier de consultant en parentalité et le programme « Vivre et Grandir Ensemble », premier programme français validé par la recherche.

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