Un cerveau qui aime apprendre
Les recherches en neurosciences indiquent que nous avons tous de fausses conceptions sur certains phénomènes. L’exemple retenu le plus courant est celui de la chute des objets. Nous serions une majorité à penser qu’une grosse pierre, étant plus lourde, tombe plus vite qu’une petite. Même un physicien conserve encore la trace de ces conceptions erronées dans son cerveau.
Ces présupposés viennent probablement de la petite enfance, et nous les gardons en tête même quand de nouvelles informations viennent les invalider, démonstrations scientifiques à l’appui.
Les fausses croyances appartiennent-elles seulement à l’univers des sciences ? Probablement pas. Nombreuses sont les fausses conceptions entretenues par notre matière grise, et je me suis demandé si le système traditionnel d’apprentissage n’en était pas une.
Elle en revêt tous les stigmates. La plupart d’entre nous pensent que l’enseignement tel que nous l’avons connu est le seul valable, qu’une certaine pression accompagnée de nombreux exercices d’application, des punitions et des récompenses vont permettre d’assurer l’avenir de nos enfants et en faire des adultes accomplis.
Nous avons enregistré cette idée en étant immergé dans ce système pendant de nombreuses années, et ce depuis notre plus jeune âge. Peu de convictions sont aussi ancrées en nous que celle-ci : pour apprendre il faut aller à l’école, et faire de gros efforts dans la contrainte et la souffrance.
En 2002, quand le rapport « Comprendre le cerveau, vers une nouvelle science de l’apprentissage » est sorti, une véritable révolution dans l’école aurait pu avoir lieu… Après avoir pris connaissance de toutes ces recherches, comment pouvions-nous poursuivre comme si de rien n’était ? Il allait falloir changer notre façon de concevoir l’apprentissage. Un deuxième rapport est sorti en 2007, pourtant les changements sont encore à venir, semble-t-il. Pourquoi ? Peut-être est-ce le piège de nos conceptions erronées, plus fortes que la claire démonstration que notre système scolaire est inefficace, inadapté et parfois même nuisible à l’avenir de nos enfants.
Le fossé entre les découvertes des chercheurs en sciences cognitives, en pédagogie et en neurosciences et le fonctionnement de l’école augmente de plus en plus. Certaines informations arrivent dans l’enceinte des établissements, mais très souvent les enseignants essaient de les faire correspondre à leurs propres croyances et elles perdent de ce fait leur efficacité. Le travail des chercheurs est à présent de tenter de trouver des pratiques à la fois bénéfiques pour les enfants et accessibles aux enseignants, des pratiques transitoires car notre monde change extrêmement vite. Il semble important, comme dans tout apprentissage, de tenir compte des acquis et croyances des enseignants avant de vouloir révolutionner l’école. Même s’il s’avère tentant de vouloir aller plus vite !
Voici quelques ressources pour aider à soutenir les apprentissages de chacun à la maison et à l’école :
– L’acte d’apprendre a lieu avant tout dans la famille
Dès la naissance, le bébé, quand il est accompagné par une personne sensible à ses besoins, avec laquelle il peut vivre un attachement « secure », se livre à toutes sortes d’explorations et d’expériences. La maison familiale est un lieu éminemment riche en opportunités, bien plus que la plupart des établissements scolaires. [1]
(ref avec la vidéo d’Alison Gopnik TED : www.ted.com/talks/alison_gopnik_what_do_babies_think#t-1689) Le bébé ou le jeune enfant, soutenu par des parents compréhensifs et aimants, peut se diriger vers ce qui l’attire vraiment ou s’intéresser aux alternatives proposées par les adultes attentifs qui l’entourent. C’est aussi grâce à sa famille que le bébé fait l’expérience d’une relation chaleureuse et sécurisante.
Expérience : Et si vous envisagiez votre lieu de vie comme un laboratoire de recherche où votre enfant pourrait s’adonner à des expériences variées ? À quoi ressemblerait-il ? En dehors de toutes les craintes que vous entretenez peut-être au sujet de l’ordre et de la propreté, avez-vous envisagé que vous puissiez vous y amuser vous aussi ?
– Notre conception du fonctionnement du cerveau a une influence sur notre façon d’apprendre
Les individus qui pensent que l’intelligence est une capacité que certains ont et d’autres non sont plus facilement découragés face aux difficultés, et pensent que leurs aptitudes ne peuvent pas évoluer.
Au contraire, ceux qui reconnaissent la plasticité du cerveau envisagent les erreurs avec plus de confiance, car ils savent qu’avec de l’entraînement ils peuvent résoudre les difficultés qui se présentent à eux. Ils ont tendance à voir l’apprentissage comme un processus et persévèrent pour réaliser leurs objectifs.
Cette idée est-elle applicable aux enseignants ? Ceux qui voient l’intelligence comme un concept immuable ont-ils tendance à baisser les bras face aux difficultés d’apprentissage de certains jeunes ? Cette vision pourrait-elle évoluer avec des informations pertinentes ?
Cela permettrait que les enfants développent leur potentiel avec des enseignants-partenaires, à la recherche de propositions nouvelles pour aider tous leurs élèves.
Les bambins n’ont pas vraiment d’idée de ce qu’est le cerveau et de son rôle dans notre organisme. À la question « Quand tu sens le parfum d’une fleur, utilises-tu ton cerveau ? » 12 % de la tranche des 4-6 ans interrogés répondent non. Ils sont 94 % à répondre oui à la question « Pour penser, utilises-tu ton cerveau ? » [2]
Plus les enfants grandissent, plus ils ont conscience du lien entre le cerveau et les différentes actions de la vie quotidienne. Penser à leur parler plus souvent de leur cerveau, de son utilité et de son fonctionnement pourrait changer significativement leur façon de voir l’apprentissage.
Expérience : Pour comprendre l’utilité du crâne et du liquide céphalorachidien, une idée savoureuse : Casser deux œufs dans une boîte en plastique munie d’un couvercle. Les deux œufs représentent le cerveau, et la boîte, le crâne. Si l’on fait une chute (on secoue alors la boîte), le cerveau peut être endommagé (les œufs se brouillent). Recommencer l’opération en ajoutant de l’eau, cette fois on peut secouer la boîte, les œufs sont protégés. Cela démontre l’utilité du liquide céphalorachidien, et accessoirement celle de porter un casque lorsque l’on fait du vélo, du ski où toute autre activité qui pourrait s’avérer dangereuse pour notre cerveau.
Cet exemple est tiré du programme « Mon fantastique cerveau junior » : www.stresshumain.ca/programmes/mon-fantastique-cerveau.html. Ce site propose d’autres expériences très concrètes à présenter aux jeunes enfants.
en lien : une vidéo sur le fonctionnement du cerveau :
www.youtube.com/watch?v=cgLYkV689s4
(en anglais – il n’y a pas de sous-titrage en français, mais on peut s’aider de celui en anglais)
– Motivation et émotion
On apprend d’autant mieux qu’on en a fait le choix. Neill en avait eu l’intuition : à Summerhill les enfants allaient en cours seulement s’ils en avaient envie. C’est aussi le fonctionnement du lycée autogéré de Paris : on participe à un cours seulement si on le désire.
Pour être motivés, les enfants ont non seulement besoin d’apprécier la matière étudiée, mais aussi d’avoir une vision claire de l’objectif.
C’est un défi énorme à relever pour l’école : amener les enfants à désirer apprendre des notions pour lesquelles ils n’ont pas toujours d’intérêt. La motivation extrinsèque basée sur le système punition-récompense, sur la performance et la compétition, ne fonctionne pas lorsqu’il s’agit d’apprendre. C’est la motivation intrinsèque qui amène l’apprenant à s’engager vraiment dans ce qu’il fait et qui le conduit à la maîtrise en profondeur d’une notion ou d’une pratique.
Quand l’enseignant tient compte des préférences des enfants et de leur façon d’apprendre personnelle, l’apprentissage se fait dans de bonnes conditions.
Malheureusement, il est très difficile d’individualiser l’enseignement dans des classes surchargées.
En revanche, rendre l’ambiance de la classe et les cours agréables et amusants pourrait être un pas essentiel, car un apprenant est d’autant plus efficace qu’il se sent bien et compétent.
Les enfants qui éprouvent des émotions négatives se désintéressent de l’apprentissage. Il arrive notamment que l’enseignant soit perçu comme une menace par les enfants. Le cerveau est très sensible à la crainte, elle inhibe les circuits de l’apprentissage, elle est destructrice pour les neurones de l’hippocampe, siège de la mémoire consciente. [3]
Les comparaisons, classements, notations, humiliations, critiques, pressions subies en classe, blessent les enfants et créent des blocages qui s’installent durablement.
Cela s’applique également aux adultes. Les enseignants ont besoin d’être encouragés, et de se sentir compétents. La crainte de faire face à certaines classes, l’absence de soutien de la part de l’institution, l’appréhension des inspections, les commentaires des membres de la communauté éducative sur les capacités plus ou moins développées des enseignants sont également des facteurs bloquant leur créativité.
Autour :
À propos de la motivation, à voir et à revoir :
Hackschooling makes me happy : www.youtube.com/watch?v=h11u3vtcpaY (sous-titrage en français disponible)
Au sujet de la créativité à l’école :
How school kills creativity : www.ted.com/talks/ken_robinson_says_schools_kill_creativity
– Des adultes enthousiastes !
Les adultes qui accompagnent les enfants, enseignants et parents, sont face à une tâche de plus en plus complexe.
Concernant les enseignants, diverses études s’accordent à montrer que les indicateurs habituellement utilisés pour évaluer leurs compétences (diplômes, expérience) ne sont pas suffisants et laissent de côté des caractéristiques cruciales, comme la capacité à créer des liens avec les enfants, l’imagination et l’enthousiasme quand il s’agit de créer des environnements pédagogiques adaptés à différents types d’enfants, l’aptitude à communiquer et à travailler avec leurs pairs et les parents. [4]
Les parents ont eu peut-être plus de facilité à créer des liens avec leurs enfants, mais les entretenir signifie créer des occasions de rapprochement par le contact physique, le jeu, les discussions, des regards réconfortants, des activités partagées, et cela n’est pas toujours facile à caser dans un emploi du temps toujours plus chargé.
Des relations chaleureuses aident le cerveau à apprendre et à comprendre, elles soutiennent la soif d’apprendre des jeunes personnes.
L’apprentissage coopératif est une réussite
On apprend mieux ensemble, en confrontant nos idées respectives. L’apprentissage en groupe restreint, où chaque élève a la possibilité d’aider et d’être aidé à acquérir des connaissances et à faire des expériences, a démontré sa supériorité sur les pédagogies traditionnelles [5].
Notre cerveau est câblé pour les relations sociales. Les enfants sont motivés pour apprendre, mais aussi pour aider et encourager les autres. Ils se font ainsi plus facilement des amis, et le côté affectif est plus développé qu’avec une pédagogie plus classique, ce qui amène un bien-être supplémentaire essentiel pour apprendre.
L’apprentissage informel avec Internet prend de plus en plus de place
Les jeunes apprenants du XXIe siècle acquièrent de plus en plus de connaissance par le biais d’Internet. Ils partagent des savoirs et des savoir-faire, socialisent avec leurs pairs, prennent contact avec des spécialistes, jouent, créent, écrivent, « bidouillent » et expérimentent. Ils mettent en œuvre sans le savoir une grande partie des recommandations des neurosciences et des sciences de l’éducation. L’apprentissage sur Internet se fait sans stress, au moment choisi par l’apprenant. Il se fait de façon coopérative, et le jeune a toujours le choix de son interlocuteur, qui peut être novice ou spécialiste. Il choisit aussi les ressources qui conviennent le mieux à sa façon toute personnelle d’apprendre. De plus, Internet est un peu configuré comme un cerveau : il associe en permanence des liens à des informations, des images, des vidéos elles-mêmes connectées à d’autres liens. Surfer peut être un véritable plaisir générateur de nouvelles idées. Les liens sur lesquels nous cliquons ne sont pas choisis au hasard, et nous conduisent à creuser des hypothèses, à trouver de nouveaux sujets de recherches. Internet a fait de beaucoup d’entre nous des apprenants enthousiastes.
Face à cette concurrence énorme, l’institution scolaire, elle, doit peut-être apprendre à tenir compte de ces connaissances informelles et les connecter aux acquisitions scolaires. En effet, un apprentissage se fait d’autant mieux que l’enseignant tient compte et utilise ce que l’enfant sait déjà sur le sujet étudié. Le cerveau fonctionne par association, et il retient bien mieux ce qu’il peut accrocher à une connaissance ou une expérience plus ancienne.
À l’avenir, nous aurons peut-être une école qui donnera la priorité aux expériences et laissera ce qui est théorique à Internet, tout en vérifiant que l’enfant n’est pas en difficulté et en continuant à soutenir son désir d’apprendre.
L’éducation interdite, un webdoc accessible sur youtube, présente des entretiens avec 90 spécialistes de l’éducation, C’est « un outil de transformation », d’après son réalisateur German Doin.
www.youtube.com/watch?v=TIRDfEi8peQ
Le cerveau retient mieux ce qui est répété
Mais il a aussi besoin de variété. Si vous souhaitez aider votre enfant dans ses apprentissages scolaires, pourquoi ne pas essayer de revoir les notions de la journée sous une forme ludique, différente de celle préconisée par l’école ?
Organiser une émission de radio (qui pourrait être publiée sur Internet sous la forme d’un podcast) sur un thème qui intéresse votre enfant, écrire et jouer un sketch, danser et chanter certains concepts, utiliser le massage-école, le modelage, le dessin (par exemple en associant un dessin à un mot pour retenir son orthographe).
Travailler par tranche de dix minutes avec des pauses régulières fonctionne bien mieux pour nos hémisphères cérébraux. Puis rappeler certaines notions le lendemain, une semaine après et un mois plus tard aide à garder ce qui a été appris dans la mémoire à long terme.
Dix minutes de jeu sont bien plus stimulantes qu’une heure de combat, épuisante pour les deux parties.
La musique est un neurostimulateur et un neuroprotecteur, elle stimule la plasticité cérébrale. Elle améliore la mémoire, favorise le développement intellectuel de l’enfant. [6]
Jouer, composer, écouter de la musique met en jeu presque toutes les fonctions cognitives. Même si vous ne jouez pas d’un instrument, vous pouvez chanter et danser en famille, surtout pour le plaisir que cela peut procurer, mais aussi pour la détente et les émotions positives qui sont souvent au rendez-vous et prédisposent favorablement à l’apprentissage.
Une enfance heureuse
Il est impossible de rater le coche avec le cerveau [7], il est toujours prêt à apprendre, tout au long de la vie. Il se transforme en fonction de notre environnement, de nos centres d’intérêt. Il n’est jamais trop tard pour se mettre en route vers un apprentissage quel qu’il soit. Le cerveau déjoue les prévisions les plus optimistes sur ses capacités en allant toujours plus loin, nous n’en sommes encore qu’aux prémices des découvertes le concernant. Et finalement, ce que nous pouvons faire pour nos enfants se résume à peu de chose : leur faire confiance, les aider à comprendre le monde, préserver leur curiosité et leur ingéniosité naturelle, leur donner la possibilité de vivre une enfance heureuse !
Les étonnants pouvoirs du cerveau en VOD
boutique.arte.tv/f4714-etonnants_pouvoirs_de_transformation_du_cerveau
Pour en savoir plus sur la plasticité du cerveau,
Catherine DUMONTEIL KREMER
[1] cf. le premier rapport de l’OCDE.
[2] Étude menée par Marshall et Comalli : sites.temple.edu/peterjmarshall/files/2014/08/Marshall-Comalli-2012.pdf
[3] Voir à ce sujet Pour une enfance heureuse du Docteur Catherine Gueguen, aux éditions Robert Laffont.
[4] OCDE : Le rôle crucial des enseignants, www.oecd.org/fr/edu/scolaire/34990974.pdf
[5] OCDE : Comment apprend-on ? La recherche au service de la pratique (2010)
[6] OCDE : Comprendre le cerveau, naissance d’une science de l’apprentissage (2007). L’essentiel, Cerveau et psycho”, numéro 4 (novembre 2010) : Le cerveau mélomane.
[7] L’existence de fenêtres d’opportunité a été remise en question ces dernières années, elles semblent importantes seulement pour l’acquisition de l’accent des langues étrangères.
Inscrivez-vous à la newsletter !
Ne manquez plus aucune information !