Réparer, ça fait du bien !
Peps 2013 – Catherine Dumonteil Kremer
Comme des invités de marque, voilà comment nous devrions traiter les enfants, paraît-il… L’idée est très généreuse. Elle pourrait nous inspirer ! Quand je reçois des amis et qu’ils cassent quelque chose chez moi, j’essaie de les mettre à l’aise en formulant un « c’est pas grave » banalisant l’événement.
Et ils réparent immédiatement les dégâts, parce que ce ne sont pas des invités de marque qui
s’attendent peut-être à ce que j’agisse à leur place mais plutôt des invités que j’aime qui comprennent que j’ai déjà bien assez de travail à faire.
Les bambins et la réparation
La sécurité de la relation instaurée entre mes enfants et moi me donne la possibilité de râler,
« Pfff j’en ai marre… ». L’image de l’invité m’a souvent poussée à être plus aimante, à faire
évoluer ma réaction au moment d’une maladresse. Oui, le verre est tombé, mais ce n’est pas
grave, et on peut réparer. Les premières années, qui sont des années d’apprentissage intensif, les maladresses sont nombreuses, même si les enfants font extrêmement attention !
Alors nous pouvons réparer de bon cœur, avec le sourire, c’est une manifestation de solidarité. Il est toujours possible de demander à un tout-petit un coup de main : « Tu veux bien m’aider, s’il te
plaît ? ». Les enfants répondent souvent par l’affirmative. Ils peuvent tenir une pelle, ramasser
un petit morceau de pomme tombée de la table. Ils aident en fonction de leur stade de développement et de leur désir de faire, qui est souvent très important. Ils ont très envie de passer le lave-pont sur un sol mouillé par le contenu d’une bouteille tenue par mégarde à l’envers. Ils vont essayer de nettoyer, et cette réparation s’avérera souvent pire que le résultat de leur maladresse.
Notre rôle est à ce moment-là de les encourager, car ils essaient d’aider.
Sur le moment, nous avons le sentiment de perdre du temps, mais en réalité au long cours nous en gagnons beaucoup. Car ce bambin, que fait-il au fond, si ce n’est apprendre à sa façon à entretenir la maison ?
Une réparation constructive
La plupart du temps, les enfants ne font pas de bêtises, leurs actions sont souvent des messages à décrypter ou des expériences qui tournent de façon inattendue. Au fur et à mesure que l’enfant grandit, la réparation est de plus en plus envisageable et constructive. Quand un enfant se sent respecté et aimé, il la propose de lui-même.
Julie vit sa première relation amoureuse, son copain vit en Suisse, et elle a occasionné à ses
parents une forte note de téléphone. « J’étais très malheureuse et j’avais besoin de lui parler.
Je vais vous rembourser avec mon argent de poche et mes baby-sittings. » Les parents sont
satisfaits, il n’y a pas lieu d’épiloguer. Julie a la possibilité de se libérer du sentiment de culpabilité qu’elle ressentait.
Une bagarre à l’école
Plus complexe est la situation de Tristan : il s’est battu avec un copain de classe, et la bagarre
s’est terminée par une chute qui a occasionné une entorse du poignet droit à son camarade. Il
se sent très mal à l’aise. Son enseignante l’a puni, ses parents sont convoqués à l’école, et sont
invités à faire de même. Après avoir longuement discuté avec leur fils, ils décident d’appeler les
parents de l’enfant blessé.
Ils s’excusent et les écoutent longuement, ils prennent du temps
pour écouter leurs fils Pablo. Tristan n’a pas souhaité participer à cette démarche, mais ses parents lui ont demandé ce qu’il pouvait faire pour réparer. Après réflexion, leur fils a proposé d’aller jouer avec Pablo le mercredi et un soir sur deux en sortant de l’école.
La proposition a été acceptée par l’autre famille. L’ensemble du processus aura duré une semaine.
Voilà une démarche singulière, où l’enfant n’est pas contraint de faire des excuses. Au contraire, on lui donne le temps de réfléchir à une réparation possible, et c’est quand il se sent prêt qu’il la propose et la met en œuvre. C’est à ce moment-là, j’en suis sûre, que les excuses sont formulées, lorsque les deux garçons sont seuls, des excuses faites avec le cœur.
En tout cas, il y a eu une véritable réparation du lien. Les parents de l’autre enfant ont été touchés par la persévérance de Tristan. Son estime de lui-même en a été nourrie. Pablo, quant à lui, a le sentiment d’avoir, grâce à ces circonstances malheureuses, un véritable ami.
Bien sûr, ce cheminement a demandé beaucoup de temps. Du temps pour réfléchir, pour écouter, s’affirmer, laisser la possibilité à Tristan de ressentir les éléments du problème et de proposer une réparation sans la lui imposer.
Et si Tristan avait été puni ?
Si les parents avaient écouté les conseils leur demandant de « sévir ». Tristan serait rentré chez lui, il se serait fait gronder par ses parents, et il aurait été puni. Par exemple, il n’aurait plus pu se servir de sa console de jeux cette année-là. On lui aurait asséné que l’acte commis était très grave. Son père et sa mère se seraient sentis honteux et coupables vis-à-vis de l’autre famille. Lors d’une rencontre à la sortie de l’école, le père de Tristan aurait pu affirmer à la mère de Pablo que son fils ne recommencerait plus, car « il ne l’avait pas loupé ».
Les parents de Pablo se seraient peut-être sentis amers, tristes, et leur fils aurait été anxieux à l’idée de retourner à l’école et de se retrouver face à un copain remonté contre lui, fâché d’avoir été puni « par sa faute ». Leur relation aurait été endommagée pour longtemps. La réparation permet à chacun de se sentir mieux, et, il faut l’avouer, la démarche est
autrement plus complexe et plus riche que de simples excuses exigées à chaque fois et/ou une
punition blessante pour « l’agresseur ».
Nos erreurs d’adulte
J’ai parfois encore l’occasion de commettre des maladresses, et je suis contente de pouvoir réparer, rembourser, aider la personne lésée sans qu’elle me blesse volontairement dans le but de me « punir ». Mais il y a un domaine où j’ai commis un grand nombre d’erreurs, c’est celui de mon parentage. Personne ne m’a menacée de punition pour cela, pourtant plus j’apprenais à devenir un parent à peu près potable, plus mon sentiment de culpabilité, à l’idée d’avoir ou ne pas avoir fait ou dit certaines choses, grandissait.
Dans ce domaine aussi, nous pouvons réparer. Alors que la culpabilité m’étouffait et me donnait la possibilité de me victimiser, la réparation me dotait d’un sentiment de puissance. Je pouvais faire quelque chose pour soigner les blessures infligées, pour combler les lacunes, et cela me donnait une énergie nouvelle. Outre le fait que le lien avec mon enfant s’améliorait, je comprenais la valeur de la réparation.
Comment faire ?
Nous savons à peu près ce qui a manqué à notre enfant, et nous pouvons essayer de remplir son réservoir affectif, sans tenir compte de son âge, mais plutôt en prenant conscience de l’âge de son besoin. Il exprime peut-être toujours des besoins de bébé à l’adolescence, alors pourquoi ne pas répondre à ses demandes de contacts physiques, de jeux de chahut, d’attention exclusive.
Nous pouvons vraiment essayer de réparer nos erreurs quelque soit l’âge de nos enfants.
Certains parents, après un acte de violence, un coup porté, une punition humiliante, se sentent très mal. La culpabilité est dans ce cas un signal d’alarme. Réparer est un processus qui peut commencer par des excuses et une reconnaissance des torts subis. Ce n’est pourtant que le début du travail de restauration de la confiance dans la relation.
Je donne souvent cet exemple assez parlant : si mon compagnon m’avait donné une gifle, il aurait fallu qu’il fasse bien autre chose que juste s’excuser pour que j’aie à nouveau confiance en lui, que je sorte de ce sentiment d’être à la merci de quelqu’un de plus fort que moi. Je craindrais que cela se reproduise.
La réparation peut s’avérer un travail de grande envergure, mais, grâce à elle, nous regagnons,
parents comme enfants, de la confiance en nous-mêmes et dans la relation. Notre enfant peut s’inspirer de notre manière de gérer les erreurs que nous commettons, et se
connecter avec toute la générosité de ce processus, avant de s’en emparer à leur tour.
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