Un bébé très intelligent
Peps 2013 – Catherine Dumonteil Kremer
« Je dors mal… » me raconte Hélène,
« Pourquoi ? Eh bien parce que mon enfant ne fait pas ses nuits ! Du coup je suis allée voir mon médecin qui m’a dit : “Vous savez, il est très intelligent votre bébé, il a bien compris que vous vous leviez à chaque fois qu’il pleure ! ! !” »
En réalité, que comprenait-il, ce bébé ? Il recevait de sa maman un message fortement positif pour son développement et son estime de lui-même, intégrant peu à peu qu’il pouvait compter sur elle, qu’en cas de problème et lorsqu’il était en détresse elle se déplaçait à chaque fois. À aucun moment elle ne le laissait en proie à ses difficultés ou ses angoisses. Il le savait, elle était là pour lui !
C’était devenu une certitude réconfortante.
Cette mère aurait peut-être aimé entendre un message encourageant, comme : « Vous faites votre maximum pour répondre à ses demandes. C’est tout à fait normal que votre bébé réclame votre présence. Comment pourriez-vous vous organiser pour vous reposer un peu plus dans la journée ? »
Mais ce n’est pas cela qu’elle entendit. Le message évoquant l’intelligence de son bébé déforma sa vision de la situation. « S’il est intelligent, c’est qu’il comprend, et s’il comprend, c’est qu’il le fait exprès. C’est de sa faute, il m’oblige à me relever, c’est lui qui gagne car il obtient ce qu’il veut, au bout du compte. », voilà l’idée qui lui a traversé l’esprit.
La grande majorité des parents avec lesquels je travaille se précipitent quand leur bébé pleure. Ils ne peuvent pas laisser leur enfant pleurer seul alors qu’ils ignorent la nature de sa difficulté, ils n’ont qu’une idée en tête : y remédier. Mais le doute s’insinue très souvent en eux à la faveur d’une lecture, d’une remarque des beaux-parents ou de certains amis, qui n’ont pas d’enfants mais qui sont convaincus que cette manière de faire mène tout droit à la catastrophe.
Un message comme celui de ce médecin peut miner la confiance du parent. Il sous-entend que celui-ci ne sait pas s’y prendre, qu’il se laisse aller à répondre à des « caprices », et que s’il continue ainsi son enfant le manipulera toute sa vie. L’enfant est alors vu autrement, non pas comme une personne qui essaie de combler ses besoins impérieux, mais comme un véritable stratège avide de pouvoir. Cela vous fait sourire ? Vous voyez mal un bébé « avide de pouvoir » ? Oui, c’est vrai, je vais trop loin. Quand un bébé essaye d’obtenir ce qu’il veut de tout son être, on dira plutôt : « Il est coquin. », « Il veut les bras. », « Il sait toujours comment faire pour avoir ce qu’il veut. » C’est beaucoup plus doux, mais l’idée est la même, il n’est pas reconnu comme légitime dans l’expression de ses besoins, ce qu’il réclame est perçu comme du confort, un surplus dont la nécessité n’est pas avérée.
Or aujourd’hui nous savons qu’un bébé qui pleure seul vit un stress important qu’il ne peut pas gérer.
Le cortisol envahit son cerveau, il cesse de sécréter les opioïdes qui lui procurent du bien-être, les voies de transmission de la douleur sont activées comme s’il était blessé physiquement. Ce n’est pas le fait de pleurer qui affecte son cerveau, mais bien le fait d’être seul et en détresse. Un bébé ne peut nullement manipuler ses parents, il n’a pas les capacités d’analyse nécessaires à la mise en place d’une telle stratégie.
Hélène, après la visite chez son pédiatre, laissa son bébé pleurer deux nuits durant, deux nuits très éprouvantes, car elle se retenait d’intervenir. Son bébé resta inconsolable et pleura de plus en plus.
Dans sa recherche de solutions, elle tomba sur la brochure « Sans fessée, comment faire ? » et y lut la phrase suivante : « Ne laissez jamais votre bébé pleurer seul, restez avec lui, il a besoin de vous pour traverser une émotion difficile. » « Ouf, ça fait du bien de le lire noir sur blanc ! » conclut Hélène, qui commença à se dire qu’elle pouvait se faire confiance.
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