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Parentalité Créative

Les enfants aiment-ils leurs parents d’un amour inconditionnel ?

Résister

Pendant très longtemps j’ai cru que les enfants aimaient leurs parents d’un amour inconditionnel, même si les traitements qu’ils subissaient de leur part s’avéraient inappropriés.

Ce qui signifiait qu’ils ne se défendraient pas et resteraient paralysés face à l’oppression qui pourrait se manifester dans leur famille, et qu’ils pardonneraient toujours à leurs géniteurs.

Oui, les enfants sont sans défense mais ils réagissent à la coercition bien plus souvent que l’on ne pense. Ils résistent de façon parfois désespérée à des conditions de vie indignes de leur vitalité, de leur désir d’apprendre et de concrétiser des projets. Et cela commence tôt…

Une des manifestations évidente de cette résistance est la fugue. Ils sont environ 48 000 mineurs chaque année en France à quitter leur famille, leur foyer d’accueil, etc. [1].

Le terme de « fugue » a tendance à ne plus être utilisé et à faire place à celui de « disparition ».

Pourtant, ce sont deux vocables très différents. Une disparition est inquiétante, elle peut provoquer de l’angoisse par son caractère inattendu, inexplicable. Les disparitions tragiques d’enfants que vivent certaines familles sont cependant rarissimes, même si elles méritent toute notre attention.

PARTIR !

À la base de la fugue il y a une décision : partir ! Le jeune décide que c’en est trop, ce n’est plus possible, il prend la fuite. Ce n’est pas une disparition, c’est un refus, un rejet de ce qu’il est en train de vivre. Si j’en crois un rapport demandé par les ministères de la justice et de la famille en 2004, il y a plusieurs raisons aux départs massifs des jeunes :

– une réaction à la frustration,

– la peur de réprimandes,

– la fuite devant la maltraitance,

– le refus d’une décision de garde,

– un appel à l’attention de l’entourage,

– une manifestation pathologique,

– l’instabilité d’un comportement. [2]

 

Il suffit de lire cette liste pour comprendre que les départs sont dus à un mal-être évident, une incompréhension, de la violence. Les jeunes nous signifient par leur acte qu’ils en ont assez. La coupe est pleine. Et quand on pense à leur degré de dépendance, on peut comprendre que ce doit être une décision difficile. Partir pour aller ou ? Faire quoi ? Sans argent, sans abri, le départ reste une entreprise périlleuse.

UN PHÉNOMÈNE LARGEMENT SOUS-ESTIMÉ

Je ne peux m’empêcher de penser que ce phénomène est très largement sous estimé, étant donné que seules les fugues faisant l’objet d’une déclaration aux services de police sont comptabilisées. C’est, comme souvent, la partie émergée de l’iceberg qui nous est présentée.

Des jeunes vivant des situations inacceptables : « Je suis en fugue depuis une semaine, ma sœur et moi on ne s’entendait pas avec ma mère, elle nous frappait, nous donnait des coups de poing », répond une jeune fille aux questions d’un membre de la brigade de protection des mineurs (BPM) dans un documentaire édifiant, Alerte enfants disparus [3]. D’autres cas sont évoqués.

Une petite bande d’enfants a quitté son foyer d’accueil, ils sont cinq entre huit et douze ans. Le plus âgé a « volé » de la nourriture et a eu peur des représailles, il a donc pris la décision de partir avec quatre autres petits. Ils seront retrouvés chez le père de l’un d’entre eux. À la BPM, un homme est accueilli, c’est un autre des pères, qui s’inquiète : « Vous savez, quand il y a un départ, c’est qu’il y a une souffrance. » formule-t-il. Ses enfants sont placés en foyer et il aimerait certainement que les conditions de vie soient meilleures pour eux. Ces conditions qu’il n’a pas su leur offrir.

MULTIFUGUEURS ?

Et puis il y a Tiffany, 16 ans, « en cavale » depuis sept mois, inscrite au fichier des personnes disparues. Sa difficulté : elle est très amoureuse de James et cette relation n’est pas acceptée par ses parents. Alors elle est partie avec lui. Leur périple a été très dur, si j’en crois les larmes versées par la jeune fille à l’évocation de leur errance dans les rues de Paris.

D’ailleurs, le jour de son anniversaire elle a pleuré beaucoup. D’ailleurs ses parents, sa famille lui ont énormément manqué. La seule chose qu’elle souhaite c’est que son amoureux soit accepté par les siens. Tiffany est une multifugueuse. Elle est déjà revenue chez elle, sans aucun résultat, les parents n’ont pas changé d’avis. Elle est donc repartie. Est ramenée pour la énième fois dans sa famille par les membres d’une association spécialisée dans la recherche de jeunes disparus. Elle est cette fois accompagnée par son copain, et l’accueil est distant. Son père formule une sentence lui indiquant qu’elle n’est pas la bienvenue et qu’il ne souhaite pas son retour.

« Tu as fait beaucoup de tort à tout le monde ici, nous avons réussi à trouver un équilibre qui est déjà très limite, et je ne voudrais pas que tu casses cet équilibre… Revenir ici, définitivement non, que tu le veuilles ou que tu ne le veuilles pas… »

La mère temporise, sa fille lui a manqué, elle essaie de négocier une nuit pour le jeune couple. Mais le père reste inflexible, il ne veut pas parler à James, il souhaite que dès le lendemain sa fille et son ami s’en aillent. Ce père est comme bloqué dans une attitude rigide, la jeune fille s’attendait à autre chose, elle crie son désespoir de l’avoir perdu il y a déjà longtemps. Selon ses dires, il ne l’a jamais accompagnée, aidée, soutenue.

L’IMPUISSANCE DE LA POLICE

En matière de fugue, les récidivistes sont nombreux, cet enfant de neuf ans en est à sa quatrième fuite. Le policier qui l’entend essaie de le convaincre : « C’est peut-être pas facile dans ton foyer mais c’est quand même mieux que la rue, tu as un toit, tu as des repères… »

Oui, mais quels sont ces repères ? Que veut cet enfant ? La police est impuissante, essayant parfois d’écouter et de comprendre, elle se retrouve dépassée par la souffrance des enfants accueillis.

VIVRE AUTREMENT

La grande majorité des fugueurs sont retrouvés quelques heures après leur départ. Il y a même ce que la police appelle les fugues-cigarettes, les jeunes quittent le plus souvent un foyer d’accueil une heure ou deux et reviennent. Une fugue est un message, elle peut signifier : « Je n’en peux plus », « Il y a trop de pression dans ma vie », « Je veux vivre autrement », « Mon existence est insupportable », mais ce qu’elle crie plus fort que tout, je crois, c’est : « Bon sang, aimez-moi, soutenez-moi, parlez avec moi… » La fugue me fait beaucoup penser à la tentative de suicide. C’est aussi un message. Les jeunes ne veulent ni partir, ni mourir, ils veulent vivre autrement. Tout comme le message de la fugue, celui de la tentative de suicide (50 000 par an en France chez les jeunes) est rarement entendu, puisque 70 % récidivent dans l’année qui suit.

AVEZ-VOUS FUGUÉ ?

Et vous, cher lecteur, vous est-il arrivé de fuguer ? Dans quelles circonstances ? Que s’est-il passé pendant cette fugue ? Si c’est le cas, Je vous propose de revenir sur cet événement de votre vie d’adolescent… Pour aider peut-être des jeunes, des parents, des professionnels. Vos témoignages seront publiés sur notre site, et ils resteront anonymes.

 

J’ignore si les jeunes aiment inconditionnellement leurs parents quoi qu’ils fassent, mais je pense qu’ils espèrent très longtemps, parfois jusqu’à la fin de leur vie, des manifestations d’amour et de reconnaissance. La désespérance de ces enfants et de ces adolescents pourrait peut-être être évitée si le soutien aux parents était une priorité politique. C’est pour bientôt, je crois…

 

Catherine DUMONTEIL KREMER (publié dans PEPS)

 

[1] D’après le documentaire cité en [3].

 

[2] Fugues, enlèvements, disparitions de mineurs : rapport du groupe de travail, Ministère de la justice, Ministère de la famille (2004)

 

[3] Documentaire diffusé sur France 2 en janvier 2014

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