Le unschooling, aussi appelé apprentissage autogéré, consiste à laisser l’enfant libre d’apprendre quand il en a envie, sans programme ni horaire prédéfinis. Parce que cette forme d’« instruction » est tellement différente de ce que l’on nous a inculqué et parce qu’elle est parfois menacée par une lecture rigide de la loi, les parents qui la choisissent le font généralement au terme d’un long cheminement.
De nombreuses anecdotes peuplent le quotidien des familles qui ont choisi l’apprentissage informel pour leurs enfants. Elles ne proposent rien, mais attendent que les demandes se manifestent et y répondent ; elles ne se focalisent pas sur l’apprentissage, mais sur la vie ensemble.
Les enfants apprennent de toute façon, les parents ont une grande confiance sur ce plan.
Une école des parents
Pourtant, pour les unschoolers, tout n’a pas toujours été aussi évident : ils sont à peu près tous passés par le stade « école à la maison ». C’est ce que démontre la recherche conduite par Alan Thomas qui a suivi le parcours d’une centaine de familles ayant au bout du compte choisi l’apprentissage autogéré. En effet, quand on déscolarise un enfant ou que l’on décide de ne pas l’inscrire à l’école, bien des questionnements surgissent : vais-je être capable de l’accompagner dans les apprentissages ? Comment faire ? Quelle méthode pourrais-je utiliser ? Ne va-t-il pas s’ennuyer ?
La plupart des familles mettent en place un emploi du temps : ils travaillent le matin, par exemple, et sélectionnent une série d’activités qu’ils jugent importantes pour leurs enfants. Ils ont très sincèrement recherché des outils pédagogiques motivants ; c’est la période où l’on fait des formations à la pédagogie Montessori, Cuisenaire, Gattegno…
La plupart des adultes sont émerveillés par le matériel Montessori pour les mathématiques, par exemple. Ils comprennent certaines notions pour la première fois et sont ravis de déjouer ainsi leurs propres blocages scolaire ! Ils en concluent, peut-être un peu vite, que c’est exactement la méthode qui conviendra à leurs enfants.
Combien de Montessoriens sont néanmoins déçus d’avoir passé un temps considérable à la fabrication d’un matériel pour voir leur enfant le dédaigner et ne jamais s’en servir ?
Quoi qu’il en soit, cette période d’avidité pour la pédagogie constitue une forme de réparation des blessures scolaires des parents.
Elle est captivante, car elle leur redonne bien souvent confiance en eux-mêmes. Cette intelligence, dont ils pensaient quelquefois être dépourvus, à force de recevoir des messages négatifs de la part de leurs enseignants, se révèle et évolue.
Et puis, sans contraintes, ils peuvent enfin s’intéresser à tout, à leur rythme. Ce qui est très étonnant avec l’école à la maison, c’est que c’est d’abord une école des parents.
Ils sont fréquemment passés à côté de tant de notions scolaires rébarbatives ! Leur désir d’apprendre est renouvelé par cette expérience. Pourtant, l’utilisation de ce savoir pédagogique fraîchement acquis n’est pas toujours aisée. Malgré des propositions d’activités attirantes, selon les critères de leurs parents qui, eux, ont subi l’école et les trouvent absolument fantastiques en comparaison, les enfants peuvent refuser la contrainte.
De l’obligation à la libération
Le désir d’apprendre cohabite mal avec le carcan de l’obligation et son cortège de pressions et de manipulations. En effet, l’apprentissage n’a pas vraiment de sens lorsqu’il est dissocié de la vie quotidienne ; il devient alors un acte sans aucune signification, on ne peut le raccrocher à rien de concret ! C’est le constat qu’ont fait les unschoolers et, peu à peu, ils sont arrivés à remettre en question l’enseignement au contact de leurs petits apprenants 24 heures sur 24.
Fatigués par une routine trop rigide pour eux, se trouvant aussi en contradiction avec leur philosophie d’une éducation qu’ils voudraient respectueuse, ils ont progressivement lâché la dimension « enseignante » pour entrer dans la palpitante aventure de l’apprentissage.
Et l’on peut dire que ce chemin est semé d’embûches tant le formatage de l’Éducation nationale est présent dans nos vies : l’enseignement, c’est obligatoire ; il faut l’évaluer ; il y a des progressions, un programme ; si l’on veut réussir (ses examens), il faudra de la régularité et des enseignants, une pédagogie ; il y a des personnes dont c’est le métier qui sont formées pour cela, comment s’en sortir sans elles ?
C’est avec ce genre de raisonnement que nombre de parents se mettent à jouer un rôle qui n’est pas le leur : celui du professeur. Comment enseigner sans évaluer, pousser, tirer, punir, récompenser, chercher à savoir ce que les enfants ont appris, pour être rassurés par leurs compétences (ou fiers peut-être) ?
Cette approche est alors bien loin du unschooler qui n’a aucune attente et fait confiance, se contentant de vivre sa vie avec plaisir et passion. Le chemin est parfois long pour le rejoindre !
Apprendre tout simplement
Demandez-vous si l’on peut arrêter le fonctionnement du cerveau. Peut-on l’empêcher d’engranger des expériences, des sensations, peut-on bloquer les connexions neuronales ? Trop de stress peut malheureusement bloquer l’apprentissage.
Mais, normalement, le cerveau d’un enfant est avide de savoir, sa curiosité est entière, fraîche et sans limites.
Votre enfant va alors très vite vous poser des questions. Ces questions réitérées, qui finissent par en agacer plus d’un, sont l’un des vecteurs de l’apprentissage naturel : celui qui est directement connecté à la vie, qui devient invisible, qui est là et fait partie de nos vies à chaque minute.
Les « Qu’est-ce qu’il y a écrit là ? » ont conduit plus d’un bambin à devenir lecteur. Plus tard, le « Comment ça s’écrit, ça ? » amène à une orthographe acceptable, sans oublier le préoccupant « Comment ça marche ? » Toutes ces questions qui paraissent si simples et banales sont le reflet du désir insatiable de savoir des petits êtres humains, de leur volonté de chercher et de trouver !
Les enfants (et leurs parents) apprennent également en observant et en faisant. Ils s’entraînent et, sans que l’on en fasse toute une histoire, jouissent du plaisir de maîtriser peu à peu ce qu’ils avaient le projet de connaître par nécessité, par curiosité ou pour le plaisir.
Peu importe : l’apprenant est à la base de la décision, c’est l’une des clés de l’apprentissage autogéré.
Par exemple, Claire a appris à patiner après une observation intense. Elle allait à la patinoire non seulement pour essayer de glisser sur ses patins, mais elle passait des heures à regarder les enfants, inscrits au club de sa ville.
Un jour, elle s’est mise à faire des figures complexes de patinage artistique sans jamais avoir connu l’intervention d’un enseignant.
Apprendre en empruntant des chemins de traverse
Savez-vous que les enfants apprennent aussi en regardant des séries, des films ou des documentaires ?
C’est en regardant certains films, qu’ils saisissent au vol des informations ou jeux de mots qui les questionnent et qu’ils veulent comprendre.
Par exemple, je crois bien que mes trois filles ont appris qui était Staline grâce à la série « Friends ».
De plus, « Six feet under » a entraîné chez nous de grandes discussions philosophiques.
Et surtout, nos enfants apprennent en jouant ! Ce ne sont pas forcément les jeux à vocation éducative qui leur en apprennent le plus, mais les jeux qui les amusent.
Anouk T. apprend en ce moment les chiffres grâce au « Uno ».
Chaque carte posée suscite un questionnement, elle est même capable de dessiner avec son doigt le chiffre sur lequel elle se pose des questions. Ses parents sont, de ce fait, de plus en plus enthousiastes et confiants.
Une mère d’adolescents témoigne encore dans ce sens : « Crazy circus » est un jeu de logique hilarant, mes enfants l’ont adoré. Ils ont également beaucoup aimé « Délir’phone », où il est question de raconter une histoire en intégrant certains mots obligatoires, j’ai l’impression que cela développe ou valorise leur imagination et leur vivacité d’esprit ! »
Les enfants apprennent aussi parce qu’ils ont l’occasion de rencontrer des passionnés, qui sont enthousiastes à l’idée de transmettre leur savoir. Transmettre, pas enseigner.
Les passionnés sont pointus dans leur domaine. Ils n’ont peut-être pas l’âge classiquement requis, mais ils ont celui de transmettre ou de montrer à quelqu’un d’autre.
On peut transmettre même lorsqu’on débute : par exemple, ma deuxième fille a appris l’accordéon avec une petite personne de huit ans – quand elle avait quatorze ans – et toutes deux ont été ravies de cette situation peu commune. Et si l’on regarde bien autour de nous, il apparaît que le monde est plein de personnes enthousiastes à l’idée de montrer leurs compétences et de partager leurs passions.
Petit pas à petit pas
Les jeunes personnes ont leur façon de faire bien à elles, elles vont fréquemment picorer une activité. Tel un bambin qui grignote et laisse la moitié d’un fruit entamé, les enfants vont se diriger vers une tâche et la laisser en plan, un mois, peut-être plus, pour y revenir ou pas, quand le besoin se fera sentir en eux.
Ainsi, ils apprendront par petits « bouts » pour un jour assembler le puzzle et constater qu’ils dominent alors la matière à laquelle ils se sont confrontés. Ils pourront également s’avérer aussi « monomaniaques » et épuiseront un sujet comme on vide un sac, en le tournant et le retournant avant de passer à un autre…
Toutes ces formes d’apprentissage sont complètement légitimes, même si elles ne correspondent en rien à ce que l’on nous a enseigné à l’école.
Notre défi consiste à accepter la méthode et le rythme de nos enfants, si c’est l’objectif que nous nous sommes fixé, malgré le formatage scolaire que nous avons subi.
Alors, « comment fonctionne le unschooling ? » est une question vaste, comparable à celle qui viserait à se demander comment fonctionne le cerveau. Il y a une multitude de réponses et de découvertes à faire. Les enfants nous montrent une partie des solutions.
C’est à leur contact que notre formation va se faire, jour après jour. Et nous allons découvrir que le plaisir d’apprendre dure toute la vie !
Anecdote
Deux frères dialoguent ; ils ont six et huit ans :
– Un pirate a 100 bagues de grande valeur, il désire en vendre 1/4, combien lui en reste-il ?
– C’est quoi 1/4 ?
– Ben tu vois, c’est la moitié de la moitié.
La moitié de 100 c’est 50, et la moitié de 50, c’est euh, attend, 20+20=40, 40+10+=50, la moitié de 10 c’est 5, 5+20=25. Le quart de 100, c’est 25.
– Ah
– Alors, il lui en reste combien ?
– Je sais pas.
– Ben 100, il désire en vendre 1/4, ça veut pas dire qu’il les a vendues, ah ah ah !
Photo B. Mantovani